mardi 24 mai 2011

APC, jusqu’où ; jusqu’à quand ? Par M. Ben Khemis 24/05/2011

( Via http://www.lapresse.tn/24052011/29817/apc-jusquou-jusqua-quand.html )
L’APC, ou activité privée complémentaire, a connu ces cinq dernières années un essor colossal au sein des établissements publics de santé en Tunisie. Il s’agit d’une activité privée exercée par les professeurs et autres professeurs agrégés hospitalo-universitaires. Récemment, les médecins spécialistes fraîchement recrutés dans les zones intérieures du pays ont reçu le droit et le  privilège de pratiquer cette APC.
Je me permets un rappel historique, l’APC a vu le jour depuis quelques années pour faire face aux demandes incessantes des médecins qui ont choisi de faire une carrière hospitalo-universitaire, d’une revalorisation salariale. En effet, inventée dans ce but, l’APC autorise les  professeurs à  pratiquer des consultations privées au sein de l’hôpital deux après-midi par semaine ; et ceci, bien entendu, en abdiquant une somme forfaitaire de leur salaire mais surtout en  s’engageant en contrepartie à accomplir leur devoir en entier envers la fonction publique.
Cette formule a eu  du succès  aussi bien pour l’Etat  que pour les médecins eux-mêmes puisque le problème d’augmentation de salaire a été résolu.
Chefs de service,   professeurs,   professeurs agrégés  et autres spécialistes s’en  donnent à  cœur joie. Et voilà que partout dans les différents  services hospitalo-universitaires tunisiens, le nombre de médecins ayant droit à l’APC ne cesse d'augmenter. A titre d’exemple, rien qu’au  service d’orthopédie du CHU Sahloul  et  rien qu’à la maternité de Farhat-Hached de Sousse,  pour ne citer que ces deux  services,  pas moins de six chirurgiens orthopédistes et six gynécologues en profitent.
Vue de l’extérieur, cette APC est perçue comme une solution miracle à tous les déboires des médecins fonctionnaires de l’Etat qui s’estiment  mal rémunérés. Voila que tout le monde y trouve son compte : les médecins  ,professeurs et autres, voient leur rétribution à la hausse; les étudiants, les internes et les résidents peuvent toujours profiter du savoir-faire de leurs maîtres et les patients peuvent se faire soigner en privé par des professeurs  sans être obligés de passer par les interminables procédures  administratives de l’hôpital public.
Cependant, derrière cette façade soigneusement décorée de l’APC se cachent bien des pratiques insalubres indignes de la médecine et du sermon d’Hippocrate prononcé en public lors de l’obtention du diplôme de docteur en médecine.
En effet, petit à petit l’APC est devenue une obsession pour les médecins qui y ont pris part. Une obsession maligne; une obsession d’argent, toujours plus d’argent. Ainsi, les services universitaires se transforment  en cliniques privées. Voilà aussi qu’au lieu des deux après-midi autorisées par la loi, les médecins  se permettent une APC sept jours sur sept. Comble du malheur, une concurrence malsaine et des pratiques turpides viennent s’ancrer dans les différents services hospitaliers publics.  Détournement de patients; extorsion d’argent; mensonge incessant, tel que passer par l’APC pour se faire opérer par le professeur et non par un résident en cours de formation; passer par l’APC et se faire opérer immédiatement en clinique privée et éviter toutes les heures d’attente interminables et les rendez-vous lointains) deviennent monnaie courante au sein de ces établissements.
Pis encore, certains chefs de service, sans citer de noms, se font un malin plaisir  de voir leur service se désintégrer. Sans matériel et sans conditions optimales pour les patients, les affaires de l’APC iront certes mieux. C’est alors qu’ils font exprès  de spolier les ressources  humaines et matérielles de leurs différents services: pas de recrutement de personnel qualifié et en nombre suffisant, pas de demandes d’équipement conforme aux nouvelles recommandations et pas de réparation de l’ancien  endommagé par des années d’usage intensif et utilisation illégale du matériel de hôpital dans les cliniques privées  tel que les boîtes chirurgicales. Résultat, des services bondés de patients  entassés dans des chambres lugubres; des rendez-vous d’hospitalisation ou opératoire suffisamment éloignés pour décourager quiconque veut se faire soigner au sein d’un établissement public.
Force est de constater que, pour certains médecins, le devoir envers la fonction publique ne fait plus partie de leur priorité. En effet, ils ne cessent de faillir à leur mission d’encadrement des jeunes médecins, résidents et internes et jeunes assistants ; ces derniers  sont souvent abandonnés à eux-mêmes aussi bien pendant les journées que pendant les interminables et épuisantes gardes ou le simple fait de  voir un professeur relève du surréel.
C’est alors que se pose la question, jusqu’à quand le contribuable tunisien devrait-il supporter ces pratiques pernicieuses qui ont précipité dans la faillite nos établissements publics,  jadis fleuron et fierté de notre Tunisie ? Ce peuple qui s’est révolté contre l’oppression et la dictature qui l’ont accablé pendant 23 ans n’est-il pas capable de dire «dégage»  à cette APC et de réclamer un système de soins public  adéquat et mérité?
Un air nouveau souffle sur notre belle Tunisie et tous les regards sont rivés  à cette révolution libératrice dont l’avenir est plein d’espoir. Que des reformes solides et  concrètes puissent enfin voir le jour durant cette année 2011  exceptionnelle  qui restera gravée en lettres d’or dans les annales de l’Histoire.

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