vendredi 27 mai 2011

Lettre par le Pr Fatma Harzallah, Endocrinologie , Faculté de médecine de Tunis, le 27 avril 2011

Madame la ministre de la santé publique Monsieur le directeur général de la santé
Objet : Concours et examens du secteur médical
Madame, Monsieur 
En cette période historique que traverse notre pays, où tous les espoirs sont permis, il est de notre devoir à tous, citoyens comme décideurs,  de passer de la contestation,  la critique et l’indignation  à la proposition et à l’action. Parce que désormais, nous sommes des citoyens libres et égaux, nous avons l’obligation de dépasser nos intérêts personnels, dans lesquels la dictature nous a confinés pour mieux nous maîtriser, et oser débattre des problèmes qui accablent aujourd’hui notre système de santé et se répercutent négativement sur la qualité des soins que nous offrons à nos compatriotes.
Un des dossiers épineux est celui de la formation médicale et des examens et des concours qui la conditionnent et auquel peu des personnes osent s’attaquer. Il semble que dans notre corporation, personne n’a envie de se poser des questions sur le système qui lui a offert ses plus beaux succès dont il se targue à longueur de journées, même si à l’évidence, ce système est obsolète, inapproprié, ambigu et injuste. Mais, avons-nous encore le droit de regarder avec indifférence ce qui se passe devant nous et dans lequel nous sommes parfois des acteurs malgré nous ?
Venons-en à présent à l’essentiel et parlons de ces fameux examens et concours, qui mobilisent  tant des personnes et tant d’énergie, qui imposent des contraintes énormes et qui demeurent aujourd’hui, contre toute attente, gérés par des textes du vingtième siècle,  recourant à des méthodes archaïques. L’implication du ministère dans ce dossier commence par le concours du résidanat, qui est certes objectif, équitable et au dessus de tout soupçon, mais qui mérite certainement une réflexion en profondeur et exige des améliorations et au mieux une réforme radicale.
Quant à l’examen de fin de spécialité, qui est fondamental parce que c’est la dernière évaluation dans le cursus pour la majorité, qui n’optera pas pour la carrière hospitalo-universitaire, il parait aujourd’hui évaluer plus des connaissances théoriques que des compétences pratiques, indispensables pour un médecin opérationnel sur terrain. En regardant les résultats de la dernière session de cet examen (la première de la nouvelle époque), l’on ne pourrait qu’être satisfait des taux de réussite qui oscillent entre 70 et 100% d’admis. Personnellement, je ne vois pas les choses du même angle ; car je ne cesse de me poser une question que j’estime essentielle : qu’avons-nous évalué par cet examen ? La rapidité d’écrire et la capacité  d’apprendre par cœur  (c’est le rôle du Kotteb, parce qu’il n’y a que le livre sacré qui soit immuable pour mériter d’être appris par cœur). Or que demandent nos concitoyens si ce n’est des médecins capables de résoudre leurs problèmes de santé.
A une époque ou nous affirmons, à tort ou à raison, qu’internet et les réseaux sociaux sont les moteurs de la révolution, peut-on continuer à exiger autant de papier, qui va finir dans les poubelles du ministère ou de la faculté ? Transportés parfois de villes de l’intérieur, puis du ministère à la faculté, beaucoup des dossiers ne seront jamais utilisés, parce qu’à quoi serviraient 6 copies de titres et travaux et 6 copies de thèse quand le jury n’en a besoin que quand il se réunit le jour de l’examen ? Quel gâchis pour le candidat, pour l’environnement ?  Absurde.
Enfin, est-il logique d’accepter de confier aux résidents de diverses responsabilités, allant de la consultation (habituelle, celle du chef et même le remplacement de ce dernier dans des vacations en dehors de l’hôpital) jusqu’à l’encadrement des externes, en passant par les urgences, puis de se permettre de les évaluer de manière sanctionnelle ?  Alors, il parait évident que cette « mascarade » doit immédiatement être remplacée par une évaluation objective et principalement pratique, étalée sur l’ensemble du cursus du résidanat. Pour la minorité qui va s’inscrire, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les compétences mais plutôt avec les circonstances, dans l’interminable festival national du cirque tragi-comique, qui va  de l’assistanat à l’agrégation et au delà et où la course aux  attestations devient le seul sport où nous excellons tous, et bien un certain nombre des questions méritent clarification.
Ces concours sont-ils nationaux ou régionaux ?
Evaluent-ils des compétences des soins, des compétences pédagogiques ou des compétences scientifiques ? Evaluent-ils le degré de connivence avec tel ou tel chef de service ?
Il est légitime que ce dernier point soit reconnu et admis, parce que même avec la meilleure volonté du monde et le plus haut QI, il est difficile de produire, d’innover et d’être créatif, dans un environnement hostile et ce n’est un secret pour personne que les conflits dans nos hôpitaux affectent négativement la qualité des soins et celle de la formation. Ces conflits sont en grande partie liés à l’hypocrisie de nos concours qui se réclament d’une objectivité, qui malheureusement ne peut-être assurée que par un double –aveugle, qui n’a pas son sens dans ce cas de figure, où au contraire nous avons besoin d’ouvrir grands les yeux pour voir et revoir nos règles du jeu.
Et le concours d’agrégation ?
Atteignant le sommet des paradoxes, de ses objectifs à ses méthodes, il devient une agression et une atteinte à la dignité, en se permettant de tourner au ridicule des personnes qui ont sacrifié, sur l’autel de la carrière médicale, les plus belles années de leur vie. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la faculté de médecine de Tunis pour voir qu’elle se transforme, pendant le dit concours en une gare (avec des valises un peu partout) de la détresse humaine.
Est-il logique de regarder encore ce spectacle avec indifférence ?
Est-il possible de continuer à concourir sur une épreuve (de leçon) qui normalement n’a plus cours, du moins  à la faculté de médecine de Tunis, depuis au moins deux décennies ?
Il est possible que la révolution n’ait pas encore atteint le seuil de Bab Saadoun, mais ma crainte est qu’elle ne serait jamais autorisée à mettre les pieds dans le très conservateur temple, qui gère la santé comme on gère les finances, en oubliant que c’est une affaire humaine, et en faisant abstraction de tout contrôle et de toute évaluation ?
Avons-nous osé un jour, ne serait-ce que pour la forme, tenter d’évaluer l’impact objectif de la création des collèges de spécialités sur la formation des résidents ?
Et ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres.
Enfin, vous-vous demandiez peut-être au nom de quoi je vous écris cette lettre ?
Ma réponse est simple : c’est au nom de la responsabilité que je considère la mienne, celle d’une citoyenne tunisienne qui croit comme beaucoup d’autres, que c’est un devoir de contribuer, au moins en aidant à identifier les problèmes, à améliorer un peu la qualité de la formation et par conséquent celle des soins dans notre pays.
Et puis avons-nous le droit de se résigner encore au silence, quand tant de sacrifices nous ont permis d’avoir enfin la parole libre ? 
Dans l’attente de voir des nouvelles résolutions émanant du ministère de la santé, je me réjouis d’espérer de vivre dans la république de la justice et de la méritocratie.
Avec mes meilleures pensées et mes salutations distinguées.                                                                                     

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